Molecule, quand la techno prend le large

un article pour Entendre | publié le 19 juin 2016

Molecule aka Romain Delahaye a imaginé le projet de musique électronique le plus surprenant du printemps: mêlant expérience de vie et création, il a enregistré un album en pleine mer, en ne samplant que les bruits de l’océan et du bateau de pêche, où il a vécu pendant 5 semaines. Le résultat, hypnotique, s’intitule 60°43’ Nord.

molecule

Comment est venue l’idée d’enregistrer dans un bateau de pêche ?

L’idée était de mêler mes deux passions. Petit, j’étais fasciné par l’horizon et l’univers des pêcheurs, en particulier les terre-neuvas, les marins de grande pêche à Cancale où j’ai une maison de famille. Ils partaient à Terre Neuve au large du Canada pour des mois… L’aventure, le voyage exceptionnel et la dangerosité me fascinaient. Composer en pleine mer a toujours été le but ultime mais je n’étais pas assez sûr de moi techniquement pour oser me lancer. Pour ce cinquième album, ça a été le cas. Je voulais une région hostile car j’avais le rêve d’enregistrer la tempête.

 Quelle était ta routine à bord ?

Je me suis imposé un dogme : arriver comme une page blanche avec mes instruments de musique, enregistrer et composer sur place et revenir à terre trois semaine plus tard avec un album fini. Je ne devais rajouter aucune note.

Comment ça s’est passé avec l’équipage ?

Au début il ne comprenait pas trop ce que je foutais là… Parce qu’un bateau, c’est un endroit très bruyant alors enregistrer un disque ici, ils ne voyaient pas l’intérêt. Mais ils m’ont quand même aidé, par exemple en m’harnachant dans les tempêtes, en m’équipant de CB pour ne pas me perdre de vue. Et puis de temps en temps, ils passaient dans la cabine transformée en studio… Ils écoutaient ce que je faisais. Ils étaient très fiers que j’ai choisi leur bateau pour faire ce travail. Au fur et à mesure, des liens se sont créés. Il y a eu beaucoup d’ échange, de partage pour apprendre à se connaître. Ce milieu me fascine. Les marins sont souvent des écorchés de la vie. Ils partent des mois et des mois en mer. C’est un travail dur. Je suis parti juste pour une campagne de 5 semaines… Eux, ils en font 5 ou 6 dans l’année. Je suis toujours en contact avec le capitaine, l’armateur et certains marins. Ils sont basés à Saint Malo et j’aime y retourner. J’étais là-bas quand ils ont fêté les 50 ans de la Compagnie des Pêches.

Et pour toi, comment ça s’est passé à bord ?

C’est une expérience artistique remplie de doute. Humainement, c’était difficile pour moi d’être isolé. De vivre la tempête. J’avais fait un peu de voilier en Bretagne. Mais ce n’est pas vraiment navigué… Là ce sont des conditions exceptionnelles : on est à 300 kilomètres des côtes les plus proches dans une des mers les plus dangereuses au monde.  Quand il y a mauvais temps, tous les bateaux rentrent au port… sauf toi. J’ai mis du temps à m’amariner. Pas  malade à vomir… mais plus un malaise de rester dans ma cabine, concentré à faire de la musique. J’étais au début un peu malade, comme tu peux l’être dans une voiture lorsque tu lis un livre.

Quel est le son qui t’a le plus marqué ?

Un des sons les plus emblématiques de ce voyage est le moteur… Il fait vibrer toute la carcasse pendant tout le voyage. Il ne s’arrête jamais… seulement au moment où tu rentres. C’est un son très monotone sur un rythme de 118 BPM, très utilisé en musique électronique et il ne change jamais de tout le parcours. C’est un son quasi hypnotique. C’est un moteur à 4 temps, la mesure qu’on utilise le plus en musique. C’est le LA de cette aventure musicale.

Et maintenant ?

Le challenge est maintenant de tourner l’album de manière la plus dynamique possible pour faire danser les foules dans les festivals de l’été. J’ai envie de continuer et de décliner le projet dans de nouveaux endroits. Je ne pourrais pas faire ces expériences dangereuses sans la musique. Se surpasser, aller dans des endroits rudes, c’est important. Pour moi, la création ne va pas avec le confort. Vivre des choses dures m’inspire.

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