Le coup de gueule du boss du Fooding contre Laurent Fabius

un article pour Gouter | publié le 18 décembre 2015

Le fondateur du célèbre site/guide/organisateur d’évènements Le Fooding, Alexandre Cammas, se fâche tout rouge contre Laurent Fabius et son projet de classement des meilleurs restaurants et il explique pourquoi dans le tribune ci-dessous.

la remise des prix du Fooding (sans liste, sans slip)
la remise des prix du Fooding (sans liste, sans slip)

Après avoir fait honneur à la France en donnant un coup de marteau tout mou et tout vert sur la plus longue table d’hôte de l’histoire, Laurent Fabius repasse à table ces jours-ci en cautionnant du haut d’un grand ministère un projet piège qui éreinte le soft power français et déshonore nos meilleurs cuisiniers : La Liste, une sorte de classement bouffon des 1 000 meilleurs restaurants du monde.

Mais avant d’aller plus loin, un petit récap des faits et causes s’impose. Car, c’est sûr, Fabulous Fab voulait sûrement bien faire…

Donc, au début des années 2000, un magazine culinaire anglais en mal de notoriété, Restaurant Magazine, a eu une idée : lancer le World’s 50 Best Restaurants, sorte de Top 50 des meilleurs chefs du monde… L’idée, quoique séduisante sur un plan com’, était hélas impossible à mettre sérieusement en œuvre. Et pour causes : le monde était bien trop vaste ; le goût ne serait jamais autre chose, justement, qu’une affaire de goût ; et, sauf preuve du contraire, il n’existait pas et n’existerait pas avant longtemps de « gustatomètre » à même de mesurer les performances culinaires de tous les chefs du monde… Qu’à cela ne tienne, Restaurant Magazine décida de s’en moquer, pariant sur l’effarante bêtise (ou paresse) de quelques passeurs de plats et d’un public gogo pour réserver un buzz triomphant au « meilleur chef du monde ». Lequel serait élu par des collèges évanescents, dont on découvrit très vite qu’ils étaient incapables de fournir la preuve (addition, facture, relevés de compte, billets d’avion…) de leurs visites desdits restaurants…

Cela étant, ce qui devait arriver, arriva… La gastronomie n’étant pas une affaire sérieuse, peu de journalistes compétents se penchèrent sur la question, et trop peu de journalistes tout court remirent en question l’inepte classement. Ainsi, dès 2002, le meilleur chef du monde eut droit à plusieurs minutes de bruit dans tous les « 20 heures » du monde. Y compris en France où, Pierre Gagnaire et Alain Ducasse bien classés les premières années, il eut été impossible de ne pas cautionner… Résultat : le réveil se fit de plus en plus vivement douloureux d’année en année, lorsque la gastrocratie française (Ducasse, Robuchon, Savoy, Alléno…), millésime après millésime, s’y découvrit déclassée. Puis surclassée.

De concert, chefs et journalistes gastronomiques français aboyèrent alors, en vieux chiens blessés, contre l’ignoble « 50 Best » ; des patrons de groupes étoilés menacèrent de boycotter les marques sponsor ; et même les politiques (Sarko en tête) y allèrent de leurs petites phrases arrogantes et méprisantes, célébrant la cuisine française comme la meilleure au monde… En vain. D’autres stars que nos chers étoilés se mirent à briller dans la galaxie gastronomique, et notre impérial business plan national eut quelques renvois acides, tandis que des observateurs étrangers, francophobes ou vicieux, prirent un malin plaisir à coucher sur des lignes le testament de notre sacro-sainte popote.

Avec La Liste, soutenue on ne sait par quel miracle par Laurent Fabius, une bande de gastronomes en culotte longue a donc décidé de créer un autre classement débile, mais made in France celui-là… Dont la première mouture fut révélée jeudi soir, le 17 décembre 2015, devant un parterre de joyeux pique-assiettes, comme les chefs les adorent quand ils viennent croûter chez eux sans demander l’addition… Et là, cocoricoooo chers compatriotes, La France est de retour en tête du classement mondial ! Comment ont-ils fait pour que leur classement des meilleurs chefs du monde puisse être si différent de l’autre classement ? En faisant également n’importe quoi, mais autrement. Soit en agrégeant les notes de guides gastronomiques et de sites participatifs, excluant, du même coup, toutes les parutions suffisamment honnêtes pour ne pas noter une table*, et intégrant des guides qui n’ont pas fait depuis belle lurette la démonstration qu’ils visitaient et payaient tous les restaurants mis en avant.

Bien sûr, on aurait aussi aimé en savoir un peu plus sur les coefficients attribués aux guides en fonction de leur sérieux ; savoir aussi, s’agissant des sites participatifs, si des coefficients plus importants étaient appliqués aux notes des restaurants les plus commentés ; et puis, enfin, on souhaiterait déjà être demain, pour voir comment cette bande de pieds nickelés pourrait encore critiquer l’assujettissement du « 50 Best » à ses sponsors, alors qu’elle est elle-même sponsorisée par des marques du même calibre.

Mais on n’en demandera pas tant. Ayant bien compris que cette mauvaise blague n’avait pas d’autre dessein que de défendre un business modèle gastronomique en perdition : le restaurant étoilé lambda. Trop souvent drivé hélas, par ces grands chefs qui ne seront jamais de grandes personnes… Acceptant bons points, tableaux d’honneur et bonnes étoiles, avec le sourire satisfait des plus mauvais premiers de la classe… Aucune personnalité, rien à exprimer, mais si fiers de savoir si parfaitement réciter les leçons à leurs maîtres. Ceux-là mêmes qui les envoient en tête de liste ou au mouroir… Alors que les meilleures tables, on le sait, qu’elles soient grandes ou petites, n’ont pas besoin de chiqué pour faire rayonner le talent français.

Avec La Liste, ce sont les meilleurs chefs de France qui perdent.

Et la critique internationale qui gagne de nouveaux arguments pour se foutre de notre fine gueule.

Alexandre Cammas

*Dernière minute : alors que le texte ci-dessus était bouclé le matin même du jour de la proclamation des résultats de La Liste, j’ai reçu vers 22 heures, un peu après le discours de Fabius, une photo d’un document officiel « La Liste », associant « Le Fooding » à cette supercherie… Inélégant ? Parasitaire ? Tout ce que vous voudrez. N’empêche, Le Fooding ne décernant aucune note, je ne vois pas très bien comment cela est possible. Subitement consciente de la ringardise de son classement, l’aimable organisation aurait-elle eu besoin d’une caution « cool » ? Nous allons y regarder de plus près. Mais d’abord, un petit coup de fil à notre avocat s’impose. On vous tient au courant.

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