Rencontre Miss Kittin et Estelle Surbranche ou quand electro et thriller parlent féminisme

un article pour Toucher | publié le 24 mai 2017

La grande prêtresse de l’électro française, Miss Kittin, a accepté de jouer l’intervieweuse face à l’auteure de thriller psychologique, Estelle Surbranche. Au programme, violence de l’âme humaine, féminisme et dépendance amoureuse…

surbranche-misskittin

Comment passe-t-on du journalisme au polar ? Pourquoi ce style en particulier et quels sont les auteurs, s’il y en a, qui vous ont passé le virus si je puis dire ?

En tant que journaliste, j’ai toujours été frustrée par la longueur des articles : on nous demande d’être le plus concis possible alors que moi, j’ai toujours aimé raconté des histoires. Et puis, pas question de trop laisser parler l’imaginaire ! Quand tu es journaliste, seuls les faits doivent parler. Et moi, j’ai toujours aimé le rêve. J’adore me faire des films sur les gens que je croise au hasard, continuer des histoires que j’entraperçois dans la rue… Le passage au roman était obligé ! Côté auteur, je suis une fan inconditionnelle de James Ellroy pour sa plume, mais aussi pour sa manière de mélanger la grande et la petite histoire. C’est ce que j’essaie aussi de faire… mais comparé à lui, je suis une souris. J’adore aussi Maurice Dantec. Son livre, Les Racines du mal, a été une des plus grandes claques de ma vie. Son parcours, son authenticité… en écrivain de polar français, il est dans les meilleurs.

maurice Dantec

Où puise-t-on l’essence de cette violence au cœur de vos personnages ? Le monde qui nous entoure, la complexité de l’âme humaine, sa propre existence ?

Je pense que j’arrive assez bien à imaginer la violence, car je suis paradoxalement quelqu’un de très doux. Du coup, j’arrive à me mettre dans des états qui m’amènent à me glisser véritablement dans l’âme de mes personnages, comme si je les habitais. Bon, et puis, il faut dire que je me nourris pas mal d’émissions et de lectures autour des faits divers ! Oui, je suis ce genre de personnes qui restent debout pour faites entrer l’accusé ! (rires)

Dans votre dernier roman, pourquoi avoir choisi le cas d’école du pervers narcissique comme toile de fond ?

Parce que, hélas, j’ai l’impression qu’il y a vraiment de plus en plus de pervers narcissiques, hommes ou femmes d’ailleurs, autour de moi… Peut-être à cause des réseaux sociaux qui exaltent l’ego à l’infini. Je voulais aussi mettre en lumière les servitudes qui pèsent sur les femmes : elles doivent être tout à la fois, des bonnes mères, des amantes exceptionnelles, des femmes d’affaires etc… Et évidemment, en prime, on est toutes censées rencontrer le prince charmant. Si tu ne trouves pas le prince charmant avant tes 35 ans, c’est que tu as raté ta vie en gros ! (rires) Or je suis persuadée que ce n’est pas vrai. On fait rêver les femmes avec ces images, dans des films, des livres… mais en vrai, on les enferme dans des clichés. Je voulais dire à travers ce livre que le prince charmant est une fiction qui peut être dangereuse… Parce que celui qui se montre trop parfait cherche généralement à mieux te manipuler après. Et surtout le bonheur prend des formes multiples, avec ou sans homme, avec ou sans enfant, avec ou sans famille… Pour les hommes aussi, je pense aussi que ça doit être chiant de devoir se conformer à cette image. Comme les femmes, ils doivent avoir le droit aux débordements, aux parts d’ombre, voire à de la lâcheté !

emmène moi au paradis - estelle surbranche

 

Les femmes ont une importance cruciale dans votre imaginaire, comme une évidence. Dans le réel, au-delà de la femme écrivain tenaillée par l’urgence de mettre ses pairs en lumière, raccourci fort réducteur, quelles sont vos inspirations profondes à faire vivre ces personnages féminins, à forte dualité, avec une part d’ombre et de lumière ?

Ça va paraître complètement « new-age » un peu fumette, mais je me sens vraiment connectée avec les autres femmes. Je connais leurs combats au quotidien, combien c’est difficile de tout assurer à la fois… Parce qu’une femme, ça veut toujours assurer un max. c’est comme ça. C’était donc super logique de faire des livres qui leur rendent aussi hommage dans toute leur complexité.


Boiler Room Paris x Dailymotion: Miss Kittin… par brtvofficial

La géopolitique et les faits divers sont un autre facteur au cœur de vos deux romans, l’ex-Yougoslavie, le trafic de drogue, d’êtres humains, d’enfants. Quelle relation entretenez-vous avec l’actualité ? Quand vient-elle s’immiscer dans vos scénarios ?

J’aime bien les histoires qui s’ancrent dans la réalité. Les histoires de serial killer qui viennent de nulle part ne m’intéressent pas. Et j’ai toujours aimé l’histoire – je possède un DEA d’histoire… Pour comprendre le présent, il est essentiel de savoir ce qu’il s’est passé avant. Quand un roman mêle la réalité historique et la fiction, comme ceux d’Ellroy, et que du coup, j’apprends quelque chose sur le monde, je suis aux anges.

Estelle Surbranche, arme à la main
Estelle Surbranche, arme à la main

Comment passe-t-on du travail d’écrivain de polar à la vie quotidienne ? De l’extérieur, le processus paraît sensiblement schizophrène. Doit-on développer des principes de cloisonnement, et est-il difficile parfois, comme un acteur, de sortir de l’histoire une fois l’œuvre achevée ?

C’est assez schizo en effet ! J’avoue qu’au cœur de l’écriture, je pense le roman même dans mon sommeil, je n’arrête pas de faire des cauchemars. Je me réveille trois fois par nuit en hurlant parce que les scènes me viennent dans mon sommeil. J’en note certaines. C’est nécessaire pour se mettre dans la peau des personnages, je pense. Par contre, c’est un travail solitaire. Généralement je vais dans des endroits isolés, seule, pour me plonger à 100% dans ce « cauchemar »… pour ne pas être distraite… Et puis aussi pour éviter de faire peur à mes proches ! (rires)

EMMENE MOI AU PARADIS… from Alexis Deforges on Vimeo.

Quand avez-vous le sentiment que votre roman est terminé, réussi ? Quel recul peut-on avoir sur une œuvre après plusieurs mois de travail fastidieux ?

Je crois que dans tout travail artistique, l’important est effectivement de savoir s’arrêter. Arrêter de donner des détails sur les personnages, arrêter l’intrigue, de travailler l’histoire. Je me relis beaucoup pour supprimer des mots. Je veux vraiment aller à l’os, jamais dans le superflu. À un moment donné, une évidence apparaît : tu dois t’arrêter là. Le livre vit, sans toi. Il exige même que tu le laisses tranquille et que d’autres s’en emparent. D’avoir sa propre vie en somme. Mon éditeur m’aide aussi beaucoup à ce stade-là de mon travail. Il m’aide également à polir l’ensemble et c’est un gros boulot à la fin !

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