L’invitée de la semaine: Jeff Buckley par Mary Guilbert, sa mère

un article pour Entendre | publié le 20 mars 2018

Lorsqu’on est fan, on ne compte pas ! Nous avons rencontré la mère de Jeff Buckley, Mary Guilbert et celle-ci nous a parlé de l’enfance et de l’adolescence du chanteur décédé tragiquement à 30 ans. Abandonné par son père, harcelé par ses camarades de classe… l’icône a eu des moments difficiles.

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Comment était Jeff Buckley enfant ?

Il n’était pas du tout timide, au contraire, il était tout le temps en train de bavarder ! Il faut dire qu’il a parlé très tôt : il nous chantait des chansons ou récitait des poèmes. Nous étions vraiment très impressionnés par ce petit garçon ! Du coup, il est allé à l’école très jeune, ce qui a encore plus développé ses facultés.

Il a grandi dans un environnement de musiciens puisque vous-mêmes, vous étiez pianiste, non ?

Oui mais je ne l’ai jamais été de manière professionnelle. Je suis tombée enceinte de Jeff à 18 ans et Tim, son père, n’en n’avait que 19. En ce temps-là, lorsque une jeune fille tombait enceinte, elle ne pouvait pas rester à l’école. Ma carrière s’est donc brisée net lorsque avec l’arrivée de Jeff. Mais je ne regrette rien car avoir un Jeff Buckley est bien mieux qu’une carrière…

 

Mary Guilbert lors de son mariage avec Tim Buckley
Mary Guilbert lors de son mariage avec Tim Buckley

Où viviez-vous à l’époque ?

A Riverside, c’est dans la campagne, à environ 60 miles de Los Angeles. Nous avions des poules, nous produisions nos propres légumes… Je travaillais à la maison donc je pouvais m’occuper de lui dès qu’il revenait de l’école. Quand à son beau-père, mon deuxième mari, il avait beau être garagiste, sa vraie passion était la musique. Il avait une collection de disques absolument incroyable. Du coup, nous écoutions de la musique tout le temps et Jeff a absorbé tout cela.

Vous pouviez déjà deviner l’immense artiste qu’il allait devenir ?

Comme il chantait tout le temps, ma mère me disait souvent « Oh, il sera comme son père ». Et moi, je lui répondais « Arrêtes de dire ça. On ne peut pas ramener l’avenir d’un enfant à la vie qu’ont mené ses parents ». C’est beaucoup trop injuste….

Est-ce qu’il faisait beaucoup de bêtises ?

Non, il n’en faisait même pas assez ! Je m’inquiétais justement car à chaque fois qu’il arrivait quelque chose, il pensait que c’était sa faute. Il était vraiment très dur avec lui-même et je lui disais tout le temps « mais tu es un bon garçon, arrêtes de te culpabiliser ». Je crois que la chose la plus dure dans son enfance a été les persécutions dont il était victime à l’école. Les autres garçons ont tout de suite détecté chez lui une personne sensible et ils se sont pas mal acharnés sur lui à l’école. Ils le traitaient de « pédé » et je ne compte plus les fois où il est revenu tout saignant, la chemise déchirée et affamé car il lui piquait l’argent de son repas. Un jour, j’en ai eu assez et j’ai voulu aller parler au père du gamin, chef de la bande qui harcelait mon fils. Jeff n’a jamais voulu. Quelques jours plus tard, j’ai vu ce fameux petit garçon avec son père, un militaire de l’Air Force, au supermarché. Et le gamin a fait une bêtise minime : le père s’est retourné et lui a collé une baffe extrêmement violente. J’ai alors compris d’où venait sa violence. J’ai expliqué la scène à Jeff le soir en rentrant et un jour que ce gamin l’attendait pour la énième fois sur le chemin de la maison pour le taper, il lui a juste dit « je sais tout à propos de ton père et je te plains sincèrement . J’espère juste que ce que tu me fais te fait du bien… » et alors, Jeff m’a raconté que les larmes étaient montées dans les yeux de ce petit truand et qu’il l’avait laissé partir. Le garçon ne l’a plus jamais embêté. Je crois que cette anecdote l’a aidée à ne pas avoir peur dans la vie.

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Quel effet a eu sur lui votre séparation avec Tim Buckley ?

Comme sur tous les petits garçons : il l’a mal vécu. D’autant qu’il savait que son père était vivant quelque part mais il n’a jamais eu un coup de fil, ou une carte postale pour son anniversaire. Je crois que cela l’a rendu adulte plus vite… Il était également très conscient des conséquences possibles d’une relation sexuelle. Il ne voulait surtout pas avoir un enfant, dont il savait qu’il ne pourrait jamais faire partie de son existence vu son style de vie. Je crois qu’à chaque fois qu’il a eu une relation sexuelle avec une fille, c’est qu’il y avait un réel engagement de sa part. Au début lorsque les journalistes lui parlaient de son père, il refusait de commenter. Et finalement, il s’est rendu compte de combien il pouvait paraître dur en faisant cela. Il a donc juste expliquer « ce qu’il m’a fait en tant que père, un si total abandon, il devrait juste en être honteux. Mais je le respecte en tant que musicien ». Je pense que si Tim avait vécu plus longtemps, il se serait rapproché de son fils et il l’aurait aimé. Jeff était un être humain tellement exceptionnel, comment ne pas tomber amoureux de lui  ?

Passons maintenant à son adolescence. Est-ce qu’il avait beaucoup de petites copines ?

Non, il n’a jamais eu de petite copine lorsqu’il était ado. Il n’avait pas le courage de dire aux filles qu’il les aimait bien. Généralement, il se retrouvait donc dans la position du meilleur ami à qui elles racontaient leur malheurs. Je crois qu’il n’a eu que deux relations sérieuses dans sa vie : la première à qui il a écrit Last Goodbye, puis Rebecca. De toute façon, il passait énormément de temps enfermé dans sa chambre à faire de la guitare : il s’écorchait les doigts jusqu’à reproduire à l’identique le morceau de Police ou de Led Zeppelin qu’il avait choisi. Puis, il a quitté la maison à 18 ans, après son bac et il a eu sa période rebelle : il ne voulait porter que des vêtements usés. A l’âge de 19 ans, j’ai failli le tuer : il s’est coupé ses longs cheveux blonds pour se teindre en noir. Je lui ai dit « Mais tu ressemblais à un ange, maintenant tu fait peur comme un démon ! » et il m’a juste répondu enthousiaste « Alors, c’est génial, c’est ce que je voulais ! ». Mais son pire coup d’éclat avec moi est lorsque il est revenu de Los Angeles pour Thanksgiving avec une iroquoise. J’avais vraiment trop la honte devant la famille un peu guindée de mon mari !

Il n’avait pas de tatouages, non ?

Non, mais il s’est piercer le nombril plus tard pour se rappeler la douleur de sa rupture avec Rebecca, m’a-t’il expliqué…

Lorsque le succès est arrivé, est-ce qu’il a changé ?

Oui car il est devenu beaucoup plus confiant en lui-même. Cette fameuse année à New York où il a participé à cette hommage à son père, il a découvert sa voix alors qu’au départ, il voulait n’être que guitariste. Il a affirmé ses goûts en matière musicale, il a trouvé son style. Il a appris à dire non et c’est aussi pour cela qu’il a laissé tomber Gary Lucas. Jeff est tout simplement devenu un homme.

Comment avez-vous réagi lorsque vous avez appris ses problèmes de drogue ?

(Très tendue) Jeff n’a jamais eu de problèmes de drogues ! J’ai posé la question à ses amis au moment de sa mort et ils m’ont répondu qu’il avait essayé des choses mais qu’il n’était jamais allé plus loin. Pour lui, les drogues interféraient dans son travail créatif. Le public a imaginé n’importe quoi parce qu’il était un rocker et qu’il est mort brutalement… Il faut tuer tous ses mythes stupides autour de lui et du rock’n’roll !

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