L’invitée de la semaine : Bat for Lashes (aka La mariée était en noir)

un article pour Entendre | publié le 13 août 2016

Toujours aussi habitée, la divine Natacha Khan de Bat for Lashes explore une nouvelle fois le sentiment amoureux, cette fois-ci à travers le prisme du mariage, cette grande aventure moderne. Les questionnements intimes de l’Anglo-Pakistanaise de 36 ans ont ainsi accouché d’un album intitulé The Bride et un court métrage, I Do. Sauf que la fête tourne souvent au drame dans l’univers tourmenté de Natacha : et quand le marié meurt, que devient la mariée ? Elle part seule en voyage de noces. Explications.

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C’est la première fois que vous faites un album autour d’un seul thème ?

Lorsque j’ai imaginé La Mariée, l’histoire était très forte : elle existait comme un film dans ma tête, à tel point que j’ai même écrit un synopsis avec les titres, comme des titres de chapitre. Il fallait que je suive cette structure et la musique est venue autour de ça. J’ai certes réalisé le film et l’album en même temps… mais les histoires sont différentes. Le film n’est pas le long clip de The Bride, même s’il aborde les mêmes sujets, l’amour, la perte et l’engagement… et la manière dont la mémoire et les traumas peuvent affecter votre habileté à aimer.

Vous pourriez imaginer monter une comédie musicale avec cette histoire ?

Oui, j’adorerais !

La mariée, c’est quasi une image pop. Qu’est-ce qu’elle signifiait pour vous symboliquement ?

La figure iconique de la mariée était intéressante pour moi car nous comprenons tous ce qu’elle signifie. La mariée se repose sur le marié pour remplir sa destinée. Mais s’il n’est pas là, elle se retrouve à faire sa lune de miel seule et à faire tous ses actes que tu es censé faire à deux, seule. Les gens ont tellement d’attente sur ce que doit être l’amour, le romantisme dans une relation… Il y a toutes ces conneries qu’on te raconte sur l’amour : comme quoi le soleil te tombe dessus, que le sexe est toujours formidable, qu’on ne peut pas s’arrêter de se regarder… Ok super, mais après ? Il faut progresser. Il faut accepter la mort, la mort de la romance, évidemment. La réalité arrive d’une manière ou d’une autre. L’idée sous-jacente affirmant que tu trouves la joie en dehors de toi-même, que quelqu’un est responsable de ton bonheur, ça m’a toujours choquée. Ma mariée pervertit cette idée car elle part en voyage de noces seule, donc elle doit en quelque sorte tomber amoureuse d’elle-même. Elle se marie elle-même. Puis elle pourra tomber amoureuse de la vraie personne et non projeter une idée romantique sur quelqu’un et en tomber amoureuse.

Est-ce qu’il y a des mariages heureux ?

Les mariages réussis, c’est finalement ceux dans lesquels on accepte de vivre avec une personne qui n’est pas forcément celle qu’on croyait… Du coup, c’est une personne qui nous a déçu et va continuer à nous décevoir. Il faut une certaine maturité pour comprendre ce genre d’expérience dans le mariage. Le mariage, c’est pour les héros car tenir un mariage n’est pas facile. Or, aujourd’hui, nous avons tellement de distractions, d’options… On rencontre tellement de gens. Tout est basé sur la gratification immédiate et superficielle, comme Tinder. Combien de personnes s’engagent réellement pour la vie ? Le mariage, c’est une expérience existentialiste car tu y expérimentes la mort et la renaissance de ton couple par cycle.

Vous pensez qu’un homme aurait pu écrire cet album qui parle du mariage et de l’engagement ?

(Fou rire) À leur manière, peut-être… Nick Cave écrit des choses très honnêtes sur ces sentiments : je pense par exemple à Pussy Blue, une chanson sur un homme au milieu de sa vie qui ne pense qu’à baiser avec des filles jeunes, parce qu’il veut s’échapper. Et en même temps, il aime sa famille mais il la traite mal. Il est tout le temps de mauvaise humeur. Je n’aurais pas pu écrire cet album. Mais il a été honnête comme moi je le suis avec The Bride. Je raconte exactement où j’en suis dans ma vie amoureuse aujourd’hui.

Pourquoi est-ce que les femmes sont plus fascinées par l’engagement que les hommes ?

Ce n’est pas seulement culturel, c’est quasi-génétique. Ca vient du Néandertal lorsque nous portions les bébés et les hommes allaient à la chasse. Nous devions avoir cet engagement pour nous sentir en sécurité. Les mœurs ont beaucoup évolué ces derniers temps mais toute cette programmation ancienne est encore là, dans nos gènes. Nous n’avons pourtant plus besoin de cela : nous avons des murs solides autour de nous, nous avons à manger et nous pouvons nous débrouiller toutes seules. Nous n’avons plus besoin des hommes pour nous sentir en sécurité. Mais même si je gagne mon propre argent, j’aimerais que mon compagnon m’aide pour entretenir la famille. J’aime l’idée d’être en tribu. Qu’un homme veuille prendre soin de moi financièrement ne m’enlève pas mon pouvoir… Car ça sera un choix, pas une obligation. Émotionnellement je suis autonome et je n’ai besoin de personne pour me satisfaire. Mais nous devons avoir des relations, car c’est un moyen de grandir et d’apprendre sur soi. Seule, tu ne vois rien sur toi-même. Seule l’autre peut te renvoyer un miroir, pas toujours très agréable d’ailleurs.

Est-ce que vous vous souvenez comment vous imaginiez votre propre mariage lorsque vous étiez petite fille ?

Non, je ne me souviens pas… (rires) Non je te jure ! (rires) J’ai commencé à y penser il y a tout juste deux ans ! Résultat, je fais un album où je me marie moi-même (rires). Non, franchement, je n’en rêve pas du tout. Parfois, je vais au mariage de l’un de mes amis et je me dis « oh c’est vraiment mignon ». Mais je n’avais pas imaginé mon propre mariage, même pas la robe… Je pense que c’est parce que mon père, lorsqu’il vivait encore avec nous, était un musulman très strict. Il avait décidé pour moi d’un mariage arrangé avec quelqu’un que je n’aimais pas. Donc je n’ai pas considéré le mariage comme un fantasme, mais plutôt comme quelque chose qu’on voulait me forcer à faire. Je n’ai pas imaginé non plus la robe parce que, de toute façon, j’aurais porté la tenue traditionnelle, les bijoux… Ce n’était pas la belle robe blanche, l’idée européenne de la « mariée-princesse ». Le mariage était une expérience religieuse, plutôt que de l’amour.

Pourquoi le mariage est-il autant à la mode de nos jours ?

Les gens cherchent la sécurité en réaction à la génération de leurs parents qui ont divorcé. Mais se marier pour la sécurité est une grande erreur. Nous romançons le mariage… Nous voulons que ce soit parfait alors que ça ne l’est jamais. Moi je ne me suis jamais mariée parce qu’il faudrait que j’aime quelqu’un autant que je m’aime moi. Or, j’ai 36 ans et je commence tout juste à penser que je pourrais être un individu ayant une relation avec un autre individu sur un pied d’égalité. J’ai eu beaucoup d’histoires mais, pour moi, le mariage est sacré et ce n’est pas pour tout le monde.

Bat for Lashes, The Bride (est sorti le 1er juillet)

Cette interview a été publiée pour la première fois dans le magazine Plugged du mois de juin.

 

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